Banaliser l’état d’urgence ?
Cet article est extrait du numéro 60 de Combat Laïque, le bulletin du CREAL76.
La constitution d’un état démocratique est la charte fondamentale qui établit le cadre juridique dans lequel les lois, décrets et autres règlements peuvent être adoptés et mis en oeuvre.
Faudrait-il se pâmer devant la Constitution de 1958 qui comporte, par l’article 16, la possibilité de conférer les pleins pouvoirs au Président de la République et par l’article 36 celle d’instaurer l’état de siège ?
Pourtant, est venu le temps de constitutionnaliser l’état de police dans l’état de droit. Comme le précise la Commission nationale consultative des droits de l’Homme : « La France ne doit pas, sous l’emprise de la sidération, sacrifier ses valeurs, au contraire, elle doit renforcer la démocratie… » et dissiper le flou qui entoure la laïcité, aurions-nous pu ajouter.
Pour des raisons assez éloignées de la raison, le Président de la République et le Gouvernement se sont lancés dans une course folle pour établir constitutionnellement un état d’urgence dont le contrôle, unique concession faite à ses détracteurs, serait confié au juge… administratif. La seule proposition qui aurait pu modérer cette pente liberticide a été rejetée par le Gouvernement, à savoir l’impossibilité de dissolution de l’Assemblée nationale tant que dure l’état d’urgence. L’inscrire dans la constitution, même en prétendant le faire pour en limiter les excès, laisse à un exécutif autoritaire - présent ou à venir - la possibilité de se rire de l’indispensable équilibre entre les trois pouvoirs que Montesquieu a explicité dans De l’esprit des lois1. Après 16 lois contre le terrorisme votées depuis 1985 et la récente adoption de la loi sur le renseignement, la stitutionnalisation de l’état d’urgence nous rappelle la mise en garde de Montesquieu : « Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. »
À cette menace qui pèsera dorénavant sur la démocratie, il est proposé d’ajouter une disposition de déchéance de nationalité. Quelles que soient ses contorsions rédactionnelles, cet article n’en portera pas moins la tare rédhibitoire de rompre le principe d’égalité entre les citoyens puisqu’il ne pourra concerner que les binationaux, l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, rédigé par René Cassin2 étant formel : « tout être humain a droit à une nationalité ».
Les commanditaires des attentats de janvier et novembre ne doivent pas être mécontents du tour que ces dispositions font prendre à la République.
Jean-Michel Sahut Président du CRÉAL-76
Le 2 mars 2016
- Mis à l’index et interdit par l’Église catholique… mais qui a inspiré la rédaction de la Constitution de 1791 !
- En octobre 1987, François Mitterrand prononçait le discours qui saluait l’entrée des cendres de René Cassin au Panthéon. Le 19 février 2015, un hommage lui était rendu au Panthéon… François Hollande et Manuel Valls s’étaient fait excuser.